Un pont mythique et une femme d’exception

L’écrivain Henry Miller fit son éloge. Andy Warhol et Georgia O’keefe s’en inspirèrent pour créer des œuvre magnifiques. Le photographes Walker Evans aussi, tout comme bon nombre d’artistes. Moi, disons simplement que c’est le lieu que je préfère à New York, le majestueux pont de Brooklyn.

Quand le soleil disparaît lentement derrière Manhattan et que les gratte-ciels prennent des teintes de jaune, de rose et de bleu, je me tiens au milieu du pont. Je ferme un moment les yeux et je bénis la vie d’exister. Et la nuit s’installe peu à peu et les lumières de la ville s’allument une à une, comme des étoiles artificielles. Mes pensées suivent alors les fils d’acier qui découpent le ciel dans une parfaite symétrie.

Voitures et féminisme

Difficile d’imaginer qu’à sa construction, ses ingénieurs ne pensaient pas qu’un jour des millions de voitures et de camions emprunteraient le pont, puisque ces engins n’étaient pas encore inventés.

Le pont, symbole d’une Amérique forte et triomphante, fut ouvert à la circulation en 1883. À cette époque, ce sont les calèches, les charrettes, les cochons et les moutons qui le traversaient. Mais ce n’est ni de cochon ni de mouton dont je veux vous parler ici. Je veux plutôt vous faire découvrir une femme qui, par ses prouesses et sa ténacité,  est considérée aujourd’hui comme une figure de proue du mouvement féministe.

La construction du pont de Brooklyn

C’est l’ingénieur John Auguste Roebling qui commença les travaux du pont en 1869. Cet homme, visionnaire et acharné, eut l’idée de réaliser ce pont, lorsqu’un jour de tempête hivernal, il dût attendre un temps fou pour traverser l’East River. Un petit bateau faisait alors la navette entre les deux rives, dangereusement, à travers les glaces. L’économie de New York en souffrait grandement. La ville était prête pour un changement monumental.

Afin de construire son pont suspendu, l’ingénieur Roebling employa une nouvelle technique de fils d’acier trempé. Hélas, un jour, il eut le pied écrasé sous une passerelle tirée par un navire. Malgré l’amputation, la blessure s’infecta et l’ingénieur mourut de tétanos seize jours plus tard.

Washington et Emily Roebling

Son fils Washington Roebling, lui aussi ingénieur, continua les travaux. Pour ancrer les structures du pont dans le fleuve, il fallut utiliser des caissons qu’on plongeât au fond de l’eau. Les hommes pouvaient y prendre place et creuser à la pioche le lit de la rivière. Mais ce qu’on ignorait alors, c’est que cette technique provoquait une chute de pression du corps et des dommages irréversibles aux organes. Il y eut plusieurs morts de ce mal des «profondeurs», même le fils Roebling en fut victime. Sa santé périclita et, après une seconde attaque, une paralysie partielle de ses membres le cloua à son fauteuil.

C’est de sa fenêtre à Brooklyn qu’il continua à superviser les travaux grâce à sa femme Emily Warren Roebling qui fit le lien entre lui et le pont qui prenait tranquillement forme. Cette pionnière dut affronter l’intimidation et les tentatives de boycott des travailleurs masculins qui nourrissaient des appréhensions et beaucoup de méfiance en son égard.

Ce fut elle qui marchanda avec les partenaires du chantier et régla les problèmes avec les autres ingénieurs, tout en suivant rigoureusement les directives de son mari. Grâce à cette femme d’un courage et d’une persévérance hors norme, le pont fut achevé le 24 mai 1874. Dans les années qui suivirent, Emily Warren Roebling fit des études de droit et milita pour l’amélioration de la condition des femmes à la fin du 19e siècle.

Pour ceux et celles qui veulent vivre intensément le coucher de soleil sur le pont de Brooklyn, il est bien de noter que l’événement a lieu tous les soirs. Il est gratuit.

De plus, si vous voulez immortaliser votre amour avec un cadenas, sachez qu’ils les enlèvent régulièrement et que cela peut provoquer des divorces.

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