Parmi les genres qui se prêtent bien à la bande dessinée, l’un d’eux est le récit de voyage. Sans doute parce que si le dessinateur a suffisamment le sens de l’évocation, il peut dépayser complètement le lecteur. C’est le signe d’un travail réussi, les images ayant souvent plus d’impact que les mots.
Et dans son album Shenzhen paru aux éditions L’Association en 2000, Guy Delisle parvient bien à rendre compte de l’environnement où il évolue, aussi bien que des différences culturelles.
Animation / délocalisation
Situons d’abord Shenzhen: il s’agit d’une ville du sud de la Chine, située en banlieue de Canton et à proximité de Hong Kong. Et elle symbolise fort bien l’occidentalisation et la modernisation accélérées que connaît le pays depuis les années 90, avec ses immeubles modernes surgissant comme des champignons.
Et avec la libéralisation des échanges, Shenzhen accueille des studios d’animation où des maisons européennes comme Dupuis (où a travaillé Guy Delisle) y font produire leurs séries télé en sous-traitance. C’est un de ces studios – où était produite une série appelée Papyrus – que l’auteur va superviser pour trois mois dès décembre 1997.
À ce propos, un des passages de l’album évoque la suppression progressive des postes d’animateur en Europe. Ce qui peut laisser une certaine amertume, quand on y pense…
Une mélancolie amusée
Et Shenzhen contient un bon nombre de passages doux-amers, où le dessinateur mesure l’étendue de sa solitude dans un pays étranger. Autant que la difficulté de diriger une équipe d’animation qui a l’air un peu trop à son aise. Sans parler du portier de l’hôtel où il loge et de son anglais approximatif, sorti tout droit d’un manuel de conversation…
Ce qui donne malgré tout – on le voit – des moments comiques à l’occasion, notamment quand il constate les décalages fréquents entre la mentalité chinoise et le mode de vie occidental. Sa visite à Hong Kong en est une très bonne illustration.
Et ça donne aussi des moments assez poétiques, dont sa rencontre avec un animateur chinois admirateur de Rembrandt. Et à qui il résume le soir de Noël l’histoire derrière Bethsabée au bain tenant la lettre de David, seule illustration que possédait son hôte.
Trait simple, mais efficace
Graphiquement, c’est élémentaire en apparence, le noir et blanc pouvant souvent laisser cette impression. Et le trait est assez simple. Ce sont ces caractéristiques qui, selon moi, ont permis à Guy Delisle de mieux rendre compte de l’environnement où il a évolué pendant 3 mois. Les décors sont en effet remarquablement fouillés, et le traitement de l’ombre et de la lumière fait encore mieux ressortir le développement accéléré de la ville, de même que le dépaysement.
Grisaille urbaine, ambiance de travail du studio, expériences culinaires, Guy Delisle rend fort bien compte de tout ce qu’il a vu et ressenti. Et le mélange de drôlerie et de mélancolie fait la force de cette BD. Et il récidivera en publiant d’autres récits dans des endroits comme la Birmanie, Pyongyang et Jérusalem, dont je parlera certainement dans d’autres articles.
Sur ce, je vous souhaite bonne lecture.
Journaliste et mélomane, Gilles Tremblay s’intéresse aux humains d’exception et à leurs travers. Il en parle sur Temps Libre avec beaucoup d’enthousiasme et de passion.