Boris Vian. En voilà un dont recherchistes et biographes divers n’auront peut-être pas fini de faire le tour, tellement les domaines qu’il a abordés furent nombreux et variés.
Aussi, je me contenterai de relever les faits de sa vie et de sa carrière que je considère les plus marquants, tout en donnant, j’espère, la mesure de sa modernité qui a été le trait dominant de son activité. Après tout, qui fut plus représentatif du XXème siècle que cet homme?
Une vocation précoce, des voisins illustres
Chez les Vian, les arts furent d’abord une affaire de famille.
Boris, avec ses frères Lélio et Alain, ont en effet fondé des clubs littéraires oscillant entre le sérieux et le fantaisiste (dont le Cercle Legâteux !). On y comparait des modèles réduits et on y faisait, en plus des jeux littéraires de l’époques, de courtes pièces de théâtre.
Parmi leurs adeptes, on comptait un jeune Yehudi Menuhin, ainsi que François Rostand dont le père, Jean, était déjà un biologiste reconnu. (Son propre père, Edmond, n’était nul autre que l’auteur de Cyrano de Bergerac!).
Aussi, ces réunions entre jeunes voisins étaient l’occasion d’écouter des disques de jazz. Une passion musicale qui ne quittera plus Boris.
Le jazz dans l’oeuvre
Si Vian n’a pas créé à lui seul le phénomène Saint-Germain-des-Prés, il a certainement contribué à son rayonnement. De 1947 à 1950, les soirées du Club des Lorientais puis du Tabou (une cave découverte au hasard par Juliette Gréco), lui ont donné l’occasion de se produire comme trompettiste avec les orchestres de Claude Abadie et de Claude Luter.
Il a dû plus tard abandonner son instrument, les problèmes cardiaques dont il souffrait depuis l’âge de 12 ans s’étant considérablement aggravés. Mais il a continué à couvrir le jazz en tant que critique et chroniqueur.
Les premiers écrits qu’il a créés au début des années 40 (Trouble dans les Andains, Vercoquin et le plancton et bien sûr L’écume des jours), sont un reflet assez fidèle des jeux littéraires de l’adolescence. Ils sont aussi une célébration du jazz et de ses fans.
Succès et scandale
Si le polar J’irai cracher sur vos tombes a été son seul succès littéraire, il lui aura aussi occasionné bien des ennuis. Non seulement des ligues de vertu attaqueront son auteur pour pornographie, mais cela lui vaudra aussi une accusation absurde de « meurtre par procuration » à la suite d’un fait divers sordide au cours duquel un exemplaire du livre aurait été trouvé près d’une victime! Au final, les revenus apportés par le livre ont été annulés par les poursuites pénales qui se sont accumulées.
Un résultat bien excessif pour un roman que Boris avait écrit par gageure, voire comme une simple tentative de mystification (sous le pseudonyme de Vernon Sullivan « traduit de l’Américain par Boris Vian »).
Il prendra ses distances de cet ouvrage par la suite.
Quelques passages révisés
Boris Vian écrivit Le déserteur en 1954. À l’époque, l’armée française connaissait une période trouble en Indochine. C’est son premier interprète, Marcel Mouloudji, qui lui suggérera de réécrire certains passages. Peut-être dans le but d' »arrondir les angles » vis à vis des militaristes.
Ainsi, « Monsieur le Président » deviendra « Messieurs qu’on nomme grands ». Ce sera Serge Reggiani qui rétablira le vers d’origine. Il réécrira aussi le dernier couplet qui disait au départ: « Si vous me poursuivez / Prévenez vos gendarmes / Que je porte des armes / Et que je sais tirer »…
Cette chanson pacifiste aura de nombreux interprètes, dont le trio folk Peter, Paul & Mary ainsi que Joan Baez, parmi d’autres.
Susciter les vocations
Boris Vian a été chanteur, mais pendant un court moment. Il avait un tel trac que cela affectait sa présence sur scène, et mettait invariablement le public mal à l’aise. Sans compter que la présence à son répertoire du Déserteur et des Joyeux bouchers entre autres, déclenchait invariablement l’hostilité.
Reste que ses performances scéniques ont produit une forte impression sur au moins une personne: Serge Gainsbourg. Il a en effet tellement été marqué par une prestation de Boris au théâtre des Trois Baudets, qu’il a décidé de se lancer lui-même dans la chanson. Et Vian le lui rendit bien, en rédigeant une critique élogieuse de son premier album en 1958.
Rock ‘n’ drôle
Reconnu pour ne pas tenir le rock en très haute estime, Boris Vian fera néanmoins connaître ce style en France dans les années 50. Avec son compère Henri Salvador (rebaptisé à quelques occasions Henry Cording!), il le traitera sous l’angle humoristique avec des titres comme Rock ‘n’ Roll-Mops, Rock-Monsieur, Va t’ faire cuire un œuf, man!…
Mais il adaptera avec goût des chansons rock dans un style plus près de l’original. Un exemple: Fever de Peggy Lee qui deviendra 39̊ de fièvre. Il la donnera à Magali Noël, pour qui il avait déjà écrit Fais-moi mal Johnny, autre titre qui balance beaucoup.
« Tranches » de succès
C’est Boris Vian qui imposa le mot « tube » pour désigner un succès populaire de la chanson. Un terme qui remplace avantageusement celui de « saucisson » qui avait cours auparavant. Quant à savoir si c’était pour en relever le côté « creux », c’est une autre histoire. Mais il est vrai qu’il avait l’esprit suffisamment caustique pour y avoir songé.
Théâtre décapant
Pour cet homme qui a essayé toutes les formes littéraires pendant sa carrière, il était normal de se frotter à la dramaturgie. Parmi ses pièces de théâtre, on compte Série blême, une pièce écrite en argot parisien et en alexandrins!
On en compte une autre résolument anticléricale, Le dernier des métiers, et Tête de méduse, parodie de vaudeville où il semble malmener le milieu littéraire parisien de l’époque.
Mais son œuvre la plus marquante dans ce domaine est bien L’équarrissage pour tous, farce antimilitariste présentée au Théâtre des Noctambules en avril 1950. Durement (et injustement) critiquée, elle sera retirée de l’affiche le mois suivant. Le comble: elle sera remplacée par… La cantatrice chauve d’Eugène Ionesco.
En voiture, Boris!
Autre passion chez Boris, les automobiles. Adorant la conduite et la mécanique, il suivra régulièrement des compétitions de course automobile comme les 24 heures du Mans. Et parmi les quelques voitures qu’il a possédées, la plus fameuse d’entre elles sera une Brasier 1911 avec laquelle il a effectué de nombreux trajets, notamment à Saint-Tropez et sur la côte belge, lors de festivals de jazz.
Cette voiture était devenue en quelque sorte sa « carte de visite ». Elle attirait la curiosité et suscitait l’admiration. Boris s’en enorgueillissait, tout en estimant que la mécanique des voitures anciennes était fort supérieure à celle des véhicules de son époque, qu’il méprisait quelque peu.
Voilà pour ce tour d’horizon non exhaustif de la carrière d’un génie. Et en fait d’hommage, je laisse ici un de ses grands amis, Jacques Prévert, le livrer.
Boris jouait à la vie / Comme d’autres à la Bourse / aux gendarmes et aux voleurs / Mais pas en tricheur / en seigneur / comme le chat avec la souris / dans l’écume des jours /des lueurs de bonheur / comme il jouait de la trompette / ou du crève-cœur / Et il était beau joueur / sans cesse il remettait sa mort / au lendemain / Condamné par contumace / il savait bien qu’un jour / elle retrouverait sa trace / Boris jouait à la vie / et avait des bontés pour elle / il l’aimait / comme il aimait l’amour / en vrai déserteur du malheur.
Jacques Prévert
Journaliste et mélomane, Gilles Tremblay s’intéresse aux humains d’exception et à leurs travers. Il en parle sur Temps Libre avec beaucoup d’enthousiasme et de passion.