La chienne à Jacques: entre moquerie et compassion

Explorons des expressions de notre langage courant pour constater encore une fois qu’il en est de fort pittoresques de par leur éloquence, telle l’expression La chienne à Jacques.

D’abord, une précision: l’expression complète est en fait s’attriquer ou être attriqué comme la chienne à Jacques. Ici, j’en profite pour mentionner deux choses:

  1. Attriquer s’emploie pour habiller.
  2. Ce même mot fera peut-être l’objet d’un autre article.

Revenons maintenant à notre chienne et à notre Jacques.

Cette expression sert à désigner une personne vêtue d’une façon disparate, le plus souvent avec des vêtements en mauvais état. Ce qui laisse deviner une impression à la fois d’excentricité et de dénuement. Il y aurait deux explications sur l’origine de celle-ci.

Allons-y avec la première.

Question de camouflage

La première explication proviendrait d’un vêtement appelé jaque. Une sorte de pourpoint servant à la fois de protection et de camouflage, et dont on revêtait des lévriers pour la chasse au sanglier au XVIe siècle.

Le chiens ainsi revêtus avaient l’air aussi patauds que ridicules, ce qui expliquerait l’origine de l’expression. Sans compter que question camouflage, il est permis de douter de l’efficacité de cette parure. Imaginons ce dialogue entre deux lévriers.

  • Non mais! C’est-tu assez laid?
  • Mets-en! En plus c’est lourd, c’est encombrant, ça pique pis ça pue!
  • Pis en fait de camouflage, c’est-tu si efficace que ça d’après toi?

Sur ce, un sanglier surgit.

  • Vous voyez bien que non.

Puis il chargea.

Cette explication est due au linguiste Claude Poirier, chef de projet du Trésor de la langue française au Québec. Il semble par contre que cette hypothèse n’ait pas été validée historiquement.

Un bien beau geste

Parlons à présent de la seconde hypothèse. Peut-être la plus triste mais à mon avis, mais certainement la plus plausible.

Transportons-nous au XIXe siècle, dans la région du Bas du Fleuve. Là-bas, à cette époque, vivait un certain Jacques Aubert, célibataire endurci qui n’avait qu’une chienne pour toute compagnie.

Or celle ci, à la suite d’une maladie de peau, avait perdu tout son pelage. Et pour la protéger du froid hivernal, son maître la revêtait de vieux chandails troués ou rapiécés qu’il avait sous la main.

Et bien sûr, les voisins qui la voyaient passer lançaient: «Tiens, voilà la chienne à Jacques!» Probablement sur un ton dont on ne sait où commence la compassion et où finit la moquerie.

Transmission ou détournement de sens?

Comme il devait être assez courant à l’époque que des gens dussent s’habiller avec les moyens du bord – quitte à ce que l’esthétique en prenne un coup – on finissait par dire d’eux qu’ils étaient « attriqués comme la chienne à Jacques« .

Toujours est-il que la phrase devint une expression qui s’est installée pour de bon dans notre imagerie populaire. Et qu’elle est encore largement employée de nos jours, même si c’est trop souvent pour ridiculiser la personne qui en est l’objet.

C’était mon nouveau tour d’horizon d’une de nos expressions langagières. Et je termine en rendant hommage à ce bon vieux Jacques Aubert, qui avait suffisamment de compassion pour se soucier de la santé de sa chienne, et ne l’aurait certainement pas laissée mourir d’hypothermie.

À une prochaine fois.

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