Achille Talon: culture-choc!

Amis de la langue française et de l’humour intelligent, bienvenue.

Dans un article antérieur, j’avais parlé de René Goscinny et du tournant plus mature qu’il a imprimé à la BD européenne en créant le journal Pilote en 1959.

Dans cet article, je vais tenter de cerner un de ses personnages les plus marquants qui aura apporté, en plus, une teinte littéraire au médium. Il s’agit bien sûr d’Achille (ou plutôt Ach!lle) Talon.

Un « personnage » dans le sens le plus fort du terme.

Boucher les trous?

C’est Michel Greg (de son vrai nom Michel Régnier) qui créé le personnage en 1963 à la demande de Goscinny qui cherchait un personnage pour, disait-il, « boucher les trous » quand les pubs venaient à manquer pour le journal.

La série elle-même verra le jour en 1966 chez Dargaud avec un premier album intitulé Les idées d’Achille Talon, cerveau-choc. Il y en aura 42 qui suivront du vivant de l’auteur, dont le format consiste en gags s’étendant sur 1 ou 2 planches, puis d’aventures occupant des albums entiers où si Greg se livre à des constats humoristiques – bien que pas toujours réjouissants – sur la nature humaine, on sent quand même un peu d’éparpillement.

Maintenant, parlons du « héros »: celui-ci se présente sous les traits d’un homme chauve assez rondouillard au nez proéminent – pour ne pas dire énorme, coiffé d’un petit chapeau mou et le plus souvent vêtu d’un veston bleu, d’un gilet jaune à boutons rouges et d’un pantalon noir. Voici comment le présentait le rédacteur en chef de Pilote.

«Achille Talon, cerveau-choc, est un homme plein de bonne volonté, et doué d’un savoir puisé dans une encyclopédie… à laquelle il manquait pas mal de pages. Achille Talon n’en a cure; sûr de lui, il n’hésite jamais à se jeter à corps perdu dans les situations les plus difficiles, avec une remarquable inefficacité.»

Et d’après l’auteur,

«Il est généreux, mesquin, pacifiste, agressif, progressiste, bourgeois, désintéressé, jaloux, intrépide et quelque peu capon. En somme, brave et honnête comme vous et moi…»

BD et linguistique

C’est un fait que celui qui se présente fréquemment comme « Achille Talon, érudit », n’a pas son pareil pour faire étalage d’une culture certes immense, mais qu’il semble n’afficher qu’afin d’épater son entourage ou de faire montre d’un certain pédantisme, voire d’un côté pontifiant qui exaspérerait le lecteur s’il ne se plongeait pas dans des situations invraisemblables… et pas toujours à son avantage.

Autre atout qui le rend irrésistible à mes yeux (lui et la plupart des autres personnages de la série d’ailleurs): sa richesse de vocabulaire et sa prolixité qui lui permettent de se lancer dans des envolées verbales aussi amusantes que fascinantes, ne reculant pas devant les jeux de mots, les néologismes, les clins d’œil littéraires et les citations, et qui peuvent avoir cours même dans des scènes de bagarre assez violentes avec son voisin Lefuneste – j’y reviendrai. Ce style inimitable et novateur vaudra à la série Ach!lle Talon de faire l’objet de nombreuses thèses de doctorat en France, en Belgique et au Québec, dont une par une étudiante en linguistique à l’université Laval parue en 1994.

Une satire dans la satire

Comme occupation, il travaille au journal Polite (anagramme de Pilote mais qui signifie aussi « bien élevé » en anglais) où il est plus ou moins journaliste, mais surtout tête de turc de son patron qui n’est autre que Goscinny lui-même. Sauf que Greg le présente en nabot tyrannique aux dents acérées, assis derrière un bureau pourvu d’un écriteau affichant clairement le mot NON!, et piquant des colères monumentales chaque fois que Talon se lance dans des démonstrations démontant les mécanismes de la bande dessinée, lui reprochant de se livrer à du remplissage. Et à ce propos, Greg lui-même à travers ses personnages se livre à presque chaque album à une critique de la BD et du monde de l’édition. Le tout cependant avec une jubilation qui rend la charge moins lourde, ce qui est sûrement le principe même de la parodie. Sans compter que comme mise en abyme, ça se pose un peu là…

Parents et connaissances

Pour finir, parlons des personnages. Il y a d’abord le père, Alambic Dieudonné Corydon dit « Papa » Talon, réplique exacte de son fils hormis une épaisse moustache rousse et son penchant marqué pour la bière, plutôt terre-à-terre mais souvent de bon conseil; sa mère simplement appelée Maman Talon, maternelle mais avec une personnalité des plus affirmées.

Vincent Poursan, dont le béret noir et l’habit de travail peuvent évoquer le parfait titi parisien, mais qui est en fait un redoutable commerçant aux spécialités multiples (et aux prix prohibitifs), voyant en Talon LE client potentiel… et fidèle, lui faisant même acheter un système de chauffage central en pleine canicule!

Le docteur, jamais nommé mais récurrent et toujours présenté en binoclard maigrichon avec une calvitie entourée de cheveux blancs, dont le caractère sarcastique accentue son penchant corporatiste évident. Sa réplique-fétiche: «Oh! Le beau cas.»

Virgule de Guillemets, marquise de son état, mondaine comme il se doit, présente à tout ce qui s’apparente à des activités sociales charitables, et dont Achille est plus ou moins le prétendant bien que ses efforts soient loin d’être toujours couronnés de succès. Il faut dire que la présence envahissante de la gouvernante Hécatombe Susurre n’aide pas beaucoup…

Le Major Hercule Lafrime, militaire retraité, mais surtout patriote convaincu et, partant de là, cocardier comme pas un et obsédé à tout ce qui touche l’armée française jusqu’à en être quelque peu irritant…

Laszlo Zlotz, ami d’Achille Talon originaire d’Europe de l’Est, ce qui se déduit assez facilement quand on lit ses répliques où il traite la langue française d’une manière bien à lui. Juste pour le plaisir… et pour illustrer la démonstration, une citation:

«Vous te surtout scrupulatoirement écrivationner quoi moi vous exactitudement dire je: préviendre relire je fera!»

Dernier et sûrement pas le moindre: Hilarion Lefuneste, voisin d’Achille Talon qui le qualifie souvent de « béotien » et surtout de « cuistre », parfois comparse mais fréquemment antagoniste. Et quand ils ne se livrent pas à des joutes verbales, ils en viennent au poings… quand ils ne combinent pas les deux, ce qui arrive pratiquement toujours. De l’aveu de l’auteur, il s’est inspiré de ses propres traits pour le créer.

Voilà: je me suis efforcé de faire le tour d’un personnage de BD qui compte à mon sens parmi les plus marquants de la francophonie. Si vous avez envie de le découvrir, et si vous vous trouvez à être amateur de mots autant que de bande dessinées, vous n’y perdrez certes pas au change.

Hop!

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