Le jour de gloire de Gainsbourg

Nous sortons tout juste des célébrations du jour du Souvenir. Pour moi, c’est un prétexte valable pour me pencher sur un cas dans la chanson qui m’a l’air d’un beau malentendu.

Je veux parler de La Marseillaise façon Gainsbourg.

Renommée établie

En 1979, soit après un peu plus de 20 ans de carrière, Serge Gainsbourg est devenu ce qu’on peut appeler un artiste culte. Il a non seulement fait sa marque dans la chanson, mais aussi contribué à forger la pop française en utilisant à son profit la vague yé-yé des années 60.

Son immense culture musicale et son goût prononcé pour l’expérimentation (et la provocation…) ont fait qu’il a pu profiter de ce courant sans y laisser son esprit ni son talent.

Mais le fait est que son statut « culte » ne lui assure pas des ventes considérables…

Célèbre méconnu?

Bien qu’il ait réalisé 4 chefs d’œuvre dans les années 70 (Histoire de Melody Nelson, Vu de l’extérieur, Rock Around the Bunker et L’homme à tête de chou), son travail personnel demeure somme toute assez confidentiel.

Surtout si on le compare aux chansons qu’il a écrites pour d’autres interprètes comme Françoise Hardy, France Gall, Petula Clark et bien sûr Jane Birkin, pour ne nommer que celles-là.

Mais en 79, découvrant le reggae et partant enregistrer de nouvelles chansons en Jamaïque avec rien moins que les fameux Wailers – le groupe de feu Bob Marley, Gainsbourg va frapper un grand coup… et provoquer malgré lui bien des remous en France. Pour une chanson en particulier.

L’insoumis

Cette année-là, il sort donc au printemps l’album Aux armes et cætera, dont la chanson titre n’est ni plus ni moins que la version reggae de l’hymne national français. Gainsbourg la récite simplement sur un rythme des plus « relax », sur un ton qui semble assez narquois. Ce qui a eu l’heur d’irriter profondément des représentants de la gent militaire française.

Mais la polémique éclatera vraiment le 1er juin quand l’éditorialiste Michel Droit (le mal nommé) publiera une chronique abjecte dans le Figaro. En plus d’avoir écrit tout le mal qu’il pense de L’auteur-compositeur-interprète et de sa version de l’hymne, il dissimulait fort mal un antisémitisme dont il a eu le culot de dire que Gainsbourg le provoquait! Ce dernier aura ce mot resté célèbre : « On n’a pas le con d’être aussi Droit! »

Donc, sans l’avoir vraiment cherché, Gainsbourg aura en quelque sorte divisé la France en deux clans. Des séances de dédicaces seront perturbées par des associations d’anciens combattants, notamment les Parachutistes (ceux-là même que Maxime Le Forestier a pris pour cible dans une de ses chansons les plus célèbres). Ils réussiront même, à force de menaces, à faire annuler un concert à Strasbourg en janvier 1980.

Dans la vidéo qui suit, on verra toute la maîtrise et le courage dont notre Serge a fait preuve pour désamorcer cette situation.

Pousser le bouchon?

Et il relancera une autre fois la controverse en décembre 1981, lorsqu’il achètera dans une vente aux enchères un manuscrit de La Marseillaise de la main même de Rouget de Lisle. Bien des « patriotards » se montreront outrés. Jusqu’à lâcher d’autres insultes racistes à son endroit, tout ça pour avoir, entre autres, « altéré » le texte.

Sauf que sur le manuscrit, l’auteur avait bel et bien écrit « Aux armes et cætera » pour éviter d’avoir à répéter le refrain inutilement!

Le tout s’achèvera de façon assez navrante lors de son passage à la célèbre diffusion du 3 janvier 1982 de l’émission Droit de réponse, consacrée à la disparition (momentanée) de Charlie Hebdo.

Deux chroniqueurs du journal d’extrême-droite Minute présents sur le plateau lui ont reproché de s’être défilé à Strasbourg 2 ans plus tôt. Il les accusera à son tour de délation avant de lancer: « J’ai mis les paras au pas! ».

Sans compter que la présence sur le même plateau de François Cavanna, du prof. Choron, et surtout d’un Siné complètement déchaîné, n’arrangeait en rien l’ambiance générale…

Deux jours plus tard, une bombe fumigène explosera près de la porte de la maison de Gainsbourg, rue de Verneuil.

À jamais moderne

Il reste qu’avec Aux armes et cætera, Serge Gainsbourg – et son double Gainsbarre – est parvenu pour de bon sur le devant de la scène. Et qu’il a prouvé son flair musical en intégrant le reggae à son œuvre de façon magistrale, démontrant du même coup sa modernité.

Elle a aussi fait connaître en France des artistes comme Marley, Burning Spear ou Peter Tosh – entre autres. Et d’autres le suivront dans cette voie. Le plus connu étant évidemment Bernard Lavilliers dont l’album O Gringo sera un succès appréciable en 1980.

Mais la chanson titre a malencontreusement occulté le reste de l’album qui contient, il faut le dire, quelques chansons formidables : Des laids des laids, Brigade des stups, Lola Rastaquouère, Relax Baby Be Cool… Et même une reprise de La Javanaise avec son couplet supplémentaire (aussi vachard que suicidaire) en javanais! 

Ainsi, jusqu’à son décès en 1991, Gainsbourg/Gainsbarre sera un artiste qui compte.

Ce qu’il a toujours été en fait.

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