« Quand j’ai en dix-huit ans, Uncle Sam m’a dit qu’il aimerait bien mettre un uniforme sur mon dos pour aller combattre un gars qui s’appelait Adolf. Ce que j’ai fait. »
Le récit d’un homme comme il y en a tant. À ceci près que vie dite d’homme d’Alan Ingram Cope débute avec son engagement sous les drapeaux.
Ce titre, La guerre d’Alan, s’avère à la fois révélateur et un brin trompeur.
Révélateur parce qu’il s’agit d’un homme racontant sa vie pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Un peu trompeur parce qu’en dépit du titre, ce n’est pas un récit de guerre mais le cheminement d’une vie. Une vie qui pourrait être celle de bien d’autres personnes.
On y voit Allan Cope, jeune californien de 18 ans, s’engager dans l’Armée américaine en 1943. Pendant 20 mois, sur une base du Kentucky, il sera entraîné à être canonnier, pilote de chars d’assaut et opérateur radio. C’est à ce moment qu’il découvrira la musique classique qui l’accompagnera pour le reste de ses jours.
Après cette période de formation, il sera envoyé en Europe le jour même de ses 20 ans, le 19 février 1945. Après être débarqué en France, lui et son bataillon traverseront l’Allemagne jusqu’à la Tchécoslovaquie, avant de rebrousser chemin lorsque l’Armée russe fera son entrée. Le 8 mai, le régime nazi capitulait.
Démobilisé, il retourne brièvement aux États-Unis où il voudra devenir pasteur mais changera rapidement d’avis, ne se reconnaissant pas dans la façon dont ses compatriotes abordent la religion et la spiritualité en général.
Il décidera de s’installer en Europe, où il sera à l’emploi de l’Armée américaine comme employé civil. À sa retraite, il s’installera en France avec son épouse sur l’Île de Ré, où le dessinateur Emmanuel Guibert fera sa rencontre en 1994.
De l’amitié qui naîtra entre les deux hommes sortira une histoire sous forme de roman graphique, d’abord parue en 3 tomes aux éditions L’Association en 2000, 2002 et 2008. Les trois volumes seront réunis en une édition unique deux ans plus tard.
Cette amitié durera jusqu’au décès d’Alan Cope 5 ans plus tard. Et durant cette période, le dessinateur illustra les souvenirs que l’ancien combattant lui raconta.
Le dessin à la fois sobre et détaillé d’Emmanuel Guibert aide beaucoup à s’immerger dans ce récit. Tout comme le choix du noir et blanc en renforce l’impression intimiste, à mon avis. Il s’agit donc bel et bien d’une œuvre à deux voix, et on regrette d’autant plus qu’Alan Cope soit décédé avant la sortie du premier tome.
« Étant donné qu’il fallait aller à la guerre, je m’étais toujours dit: je vais prendre ça pour une aventure, je ne vais pas trembler, je ne vais pas me dire que c’est une tragédie personnelle, je fais comme tout le monde et c’est peut-être pour ça que je n’ai jamais eu peur. C’est très curieux, je n’ai PAS eu peur pendant la guerre. J’avais décidé une fois pour toutes qu’arriverait ce qui arriverait. »
Comme tout récit de vie, celui-ci est fait d’anecdotes, qu’elles soient tragiques, drôles ou même banales. Et aussi de rencontres déterminantes: surtout celle du pianiste-compositeur Gerhart Muench et sa compagne Vera. Ce qui l’amènera à aborder des auteurs comme Ezra Pound et Henry Miller, mais aussi à reconsidérer le sens de la vie, autant que celui de sa propre existence.
Bref, une vie faite d’essais et erreurs comme n’importe quelle vie, mais dont il a somme toute tiré le meilleur. En faisant ses propres découvertes, en cultivant ses amitiés et en respectant ses semblables. Une guerre peut-être, mais menée sereinement et sans amertume. Et Emmanuel Guibert a le mérite de l’avoir traduite aussi fidèlement que sobrement par ses dessins.
« Admettez-vous que toutes les parties d’une vie ont leur importance et le droit d’être évoquées quand on brosse le tableau d’une existence? »
N. B. Toutes les citations sont du même Cope.
Journaliste et mélomane, Gilles Tremblay s’intéresse aux humains d’exception et à leurs travers. Il en parle sur Temps Libre avec beaucoup d’enthousiasme et de passion.