Quand Jacques Brel faisait son cinéma

Jacques Brel s’est fait connaître comme auteur-compositeur-interprète et surtout pour ses prestations scéniques. Il s’y livrait sans retenue, incarnant ses chansons dans les moindres détails, avec ce que ça suppose d’expressionnisme.

Avec un tel don pour l’expression, il était sans doute normal qu’il passe au cinéma après avoir abandonné le tour de chant en 1967. Dès lors, il a tourné dans 9 films, dont deux à titre de réalisateur-metteur en scène.

L’auteur-compositeur-interprète

Je commence par l’auteur de chansons. Il en a écrit quelques-unes pour le cinéma dont le film d’animation Le temple du soleil (d’après Hergé) avec Ode à la nuit et La chanson de Zorrino. Chansons qui, à mon avis, donnent une teinte un peu disney-esque à cette aventure de Tintin sur grand écran.

Il y a aussi, et surtout, Pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient? et Les cœurs tendres.

La première a été composée pour l’adaptation cinématographique du roman de Jean Giono, Un roi sans divertissement. Un roman fort sombre où il est démontré que l’isolement et la solitude peuvent conduire à la mort. Les paroles de la chanson signée Brel traduisent assez bien cet état de fait.

Les cœurs tendres a été conçue pour un autre roman adapté au cinéma: Un idiot à Paris, d’après René Fallet. Pour cette histoire d’un idiot de village (joué par Jean Lefebvre) parachuté à Paris après une beuverie, Brel a livré selon moi une bien belle chanson. Elle décrit fort bien ce que sont à la fois naïveté et grandeur d’âme.

L’acteur

Comme acteur, certains films où il a joué ont connu un succès mitigé (Les risques du métier) ou ont été des navets complets (Mont-Dragon). Malgré tout, bien des critiques et spécialistes du 7ème Art ont reconnu le talent qu’il avait. Voici ma sélection personnelle de 5 de ses films qui le démontrent le mieux.

La bande à Bonnot

Réalisé en 1968 par Philippe Fourastié, le film retrace l’historique de ce groupe de bandits anarchistes qui ont tenu la France en haleine au début du XXe siècle. Brel y tient le rôle de Raymond Callemin dit La Science, un voleur converti à l’anarchisme qui se joint à la bande par idéalisme.

Mon oncle Benjamin

Il a également joué Benjamin Rathery, un médecin de campagne du XVIIIe siècle qui préfère soigner les paysans plutôt que les nobles, et qui aime le bon vin, la bonne bouffe, et les jolies filles. Bref, un personnage assez près de ce qu’a été Brel, et où il a donné sa pleine mesure.

Édouard Molinaro – le futur réalisateur de La cage aux folles, aurait pris contact avec Brel par l’intermédiaire de Georges Brassens parce qu’il avait un jour déclaré que ceux qui n’avaient pas lu le roman Mon oncle Benjamin n’étaient pas ses amis! Connaissant l’amitié qui liait les deux artistes, il n’eût aucune difficulté à convaincre le grand Jacques d’y tenir le rôle principal.

Les assassins de l’ordre

Changement de registre pour Brel qui, dans ce film de Marcel Carné, tient le rôle d’un juge d’instruction. Il y est chargé de faire la lumière sur un cas de brutalité policière ayant entraîné la mort d’un suspect dans un commissariat. Son personnage se bute aux forces de l’ordre, qui font tout pour éviter que leurs représentants suspects aient à rendre des comptes.

S’inscrivant dans la mouvance des films de cette époque qui dénonçaient les abus de l’ordre établi, celui-ci s’est pourtant vu refuser une nomination au festival de Cannes. Les responsables lui ont préféré de fait de Costa-Gavras, sorti à la même période.

Au cours de ce tournage, Brel fréquentera assidûment le réalisateur et l’équipe technique pour approfondir ses connaissances du cinéma. Il a déjà en tête le projet de réaliser son premier film, et Carné l’encouragera dans ce sens.

L’aventure c’est l’aventure

Retour à la comédie pour ce film de Claude Lelouch. Brel y incarne un truand qui, avec quatre autres comparses, organise enlèvements – du pape et de Johnny Hallyday, entre autres ! – et détournements d’avions à l’échelle internationale. Leur but étant simplement d’empocher les rançons et de se payer du bon temps.

C’est lors de ce tournage qu’il développera une amitié solide avec Lino Ventura, qu’il côtoiera dans une autre production.

L’emmerdeur

C’est l’année 1973 qui verra sa dernière apparition au cinéma. Brel incarne dans cet autre film de Molinaro un représentant de commerce, gaffeur-né, largué par son épouse. Au fil de ses tentatives de suicide, il sabotera progressivement le travail d’un tueur à gages joué par Ventura. Celui-ci se verra contraint de le sauver à chaque fois pour éviter de se trahir.

À noter que le personnage joué par Jacques se nomme François Pignon. Le même Pignon qui apparaîtra en 1998 dans le film Le dîner de cons réalisé par Francis Veber. Veber avait signé le scénario et les dialogues de L’emmerdeur, et il a fait apparaître ce personnage de façon récurrente dans son oeuvre de dramaturge. Tout est dans tout, vous dites?

Le réalisateur

Une fois piqué au jeu, Jacques Brel se lance dans la réalisation. Ses deux œuvres, à défaut d’avoir connu des succès retentissants auprès du public, auront eu le mérite d’afficher l’univers de Brel dans son intégralité et avec une grande sincérité.

Franz

Le film raconte une histoire d’amour entre son personnage de Léon et celui de Léonie, joué par Barbara. Il a pour cadre une maison de convalescence en Belgique. Brel y joue le rôle d’un vieux garçon dans la quarantaine, sous l’influence de sa mère avec qui il communique par pigeons voyageurs. Une autre femme plus belle fréquente le centre, mais c’est envers Léonie qu’il entretient les sentiments les plus ardents, suscitant les moqueries des autres pensionnaires.

Lorsque Léon s’apercevra que Léonie s’est jouée de lui, il décidera d’en finir avec la vie en se jetant dans la mer.

À défaut d’avoir attiré un public nombreux, l’œuvre rencontrera tout de même un écho favorable auprès des critiques. Ce qui ne sera malheureusement pas le cas du suivant.

Jacques Brel au Far West

Ici, le personnage que joue Jacques rencontre dans Bruxelles un vagabond déguisé en coureur des bois, et un officier sudiste accompagné d’une femme infirme qui deviendra sa complice.

Ensemble, ils recréent un village du Far West dans une mine désaffectée. La bande se sépare en découvrant de l’or après une explosion provoquée lors d’une attaque d’indiens. Ensuite, le héros et sa compagne sont abattus par les forces de l’ordre qui croient qu’ils se sont enfuis avec le trésor.

Bien que ce film ait été plus bâclé que le précédent, il aurait peut-être mérité plus d’indulgence. Il est, il me semble, d’une grande force poétique.

Brel abandonne alors le cinéma pour se consacrer à la voile, et revenir avec un ultime album en 1977.

Conclusion: l’acteur-réalisateur rejoint le chanteur

Au bout du compte, Jacques Brel, tant le chanteur que l’acteur, n’auront fait qu’un. En effet, les différents réalisateurs auront eu le flair qu’il fallait pour lui confier des rôles qui se rapprochaient fort de l’homme qu’il était.

Et les deux films qu’il a réalisé lui-même sont allés encore plus loin dans ce sens. Ils ont exposé les thèmes qu’il a toujours défendus dans ses chansons: l’amour, la prétendue perfidie des femmes, le mépris envers les bourgeois et l’autorité, ainsi que l’enfance perdue.

Bref, Jacques Brel fut un grand artiste des deux côtés de la caméra. De quoi donner envie de le redécouvrir et de l’apprécier davantage.

À une prochaine fois !

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