La littérature jeunesse est un genre en constant foisonnement. Au point où il semble difficile de s’y retrouver tellement il y a de publications. Aussi, je vais me concentrer sur ce qui me semble être la plus ancienne d’entre elles – et certainement la plus fameuse: Le petit Nicolas.
Œuvre légère mais riche sur les aventures au quotidien d’un petit garçon entre 8 et 10 ans, elle a été créée par René Goscinny et Jean-Jacques Sempé et s’est étendue de 1956 à 1964.
En guise de présentation
René Goscinny est évidemment ce scénariste qui a beaucoup contribué à faire de la BD une forme d’expression majeure. Au point où on la qualifie maintenant de 9ème art, c’est dire. Mais c’est avec Le petit Nicolas qu’il prouvera qu’il est aussi – et surtout – un écrivain.
Jean-Jacques Sempé est ce dessinateur de presse mondialement connu, originaire de la région de Bordeaux. Ce personnage (qu’il a baptisé d’après une réclame de vin qu’il a aperçue d’un autobus) accentuera son essor.
Un succès quasi immédiat
Une première série d’histoires sera publiée en bandes dessinées dans un hebdomadaire belge, Le Moustique, en 1956. Elle sera abandonnée après 28 numéros, Sempé n’étant pas à l’aise comme bédéiste. (Petit détail: Goscinny signait ses scénarios Agostini. On ne sait pourquoi…)
Le personnage et son univers réapparaîtront dans le numéro de Pâques 1959 de Sud Ouest, un quotidien de Bordeaux sous la forme qu’on connaît à présent: de courts textes agrémentés d’illustrations. Puis les éditions Denoël publieront un premier recueil en 1960. Et là, ce sera la consécration.
Une écriture efficace
Cette série est tout simplement née des souvenirs d’enfance mutuels que les deux artistes se racontaient. Et Goscinny n’a plus eu qu’à imaginer les personnages, les cadres et les situations. Tandis que Sempé réalisa de petits chefs d’œuvre d’illustration complétant à merveille le récit
Selon moi, le tour de force se situe dans l’écriture à la première personne de l’auteur, vive, véridique et sans aucune mièvrerie. Au point ou plusieurs croiront qu’il était lui-même père de famille (ce qu’il sera plus tard) ou enseignant (ce qu’il n’a jamais été).
Le fait est qu’il était d’abord un écrivain de talent qui n’avait pas son pareil pour se mettre dans la peau de son petit personnage. Un petit garçon espiègle, farceur, mais jamais malicieux, même s’il mène parfois la vie dure à sa mère. Son père, lui, se montre bien un peu sévère, mais fait souvent preuve d’indulgence envers son fils.
Le petit Nicolas est avant tout un petit garçon. La petite taille est un signe de ruse, c’est surtout le signe du personnage qui doit se débrouiller avec des qualités qui ne sont pas évidentes. Un personnage très grand, très fort, a déjà résolu dans les conflits une partie de ses problèmes. Et puis il est plus drôle de voir un petit personnage qui a la sympathie du public. – René Goscinny
De sacrés personnages!
Chez ses camarades, on remarque Alceste, gros et mangeant tout le temps, et sans doute le meilleur ami de Nicolas. On hésite toutefois à lui serrer la main parce qu’elle se retrouve toujours collante.
Rufus, fils d’un agent de police, vient toujours à l’école avec son sifflet. Ce qui pose des problèmes pour jouer au soccer, car il veut toujours être joueur et arbitre en même temps.
Agnan, premier de classe… et souffre-douleur en titre. Chouchou de la maîtresse, il est le seul à porter des lunettes – ce qui empêche Eudes de le frapper. Il pleure lorsqu’il est contrarié.
Clotaire, à l’inverse, est le cancre attitré de la classe. Toujours envoyé au coin après une interrogation, il finit souvent par y aller de lui-même « pour gagner du temps! »
Et Eudes, la brute qui aime donner des coups de poing sur le nez, mais seulement à ses amis, dit-on. Autrement, il est paraît-il assez timide.
Parmi le personnel de l’école, on remarque surtout le surveillant M. Dubon, surnommé « Le bouillon » parce qu’il exige toujours des élèves qu’il surprend à faire des bêtises qu’ils le regardent dans les yeux. Or (dixit Nicolas), dans le bouillon, il y a des yeux!
D’une série à une autre
À noter qu’une de ces histoires a servi de point de départ à la création de la série Iznogoud. En effet, dans le recueil Les vacances du petit Nicolas, un moniteur de la colonie de vacances raconte aux enfants l’histoire du calife qui était très bon, mis qui avait un très méchant vizir.
Fin de chapitre, nouveau départ
Sempé préférera arrêter sa collaboration en 1964, craignant, paraît-il, de voir Nicolas être transformé en support publicitaire comme Astérix. De son côté, Goscinny était de plus en plus accaparé par le succès de ce même personnage. Ils se retrouveront quelques années plus tard, et parleront de créer de nouvelles histoires. Mais le décès soudain de l’auteur mettra malheureusement un terme à ce projet.
Par contre, même avec 5 recueils publiés, il restait près de 200 histoires demeurées inédites. Ce sera Anne Goscinny, la fille de l’auteur, qui les sortira de l’ombre avec la collaboration de Sempé. Trois recueils seront ainsi publiés en 2004, 2006 et 2009 aux éditions Imav, maison qu’elle a créée avec la complicité de son conjoint Aymar Du Chatenet.
Un classique et ses avatars
La série inspirera aussi au réalisateur Laurent Tirard un film sorti en 2009, simplement intitulé Le petit Nicolas. Une série d’animation sera aussi créée à partir des contes du tandem Goscinny-Sempé en 2006.
Un pastiche de la série mettant en scène (coïncidence…) Nicolas Sarkozy sera même publié en 2007, avec comme auteurs Gospé (Mario Alberti, dessinateur) et Sempinny! Il s’agit en gros d’une série où bien sûr Sarkozy tient la vedette, avec la plupart des personnalités politiques de l’époque qui lui tiennent lieu de camarades de classe. Cinq albums seront publiés jusqu’en 2012.
Pour conclure… et passer de beaux moments
Goscinny et Sempé ont-ils été à l’origine de la littérature jeunesse telle qu’on la connaît? Il y aurait sûrement matière à en débattre, mais là n’est pas mon propos. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont créé une œuvre intemporelle et universelle, donc qui restera encore longtemps. C’est un bon point de départ pour inciter les jeunes à lire sans les ennuyer, et pour les adultes aimant les histoires drôles écrites dans un souci évident d’authenticité. En tout cas, il est certain que personne n’y perdra au change; pigez dans le tas sans hésiter!
Journaliste et mélomane, Gilles Tremblay s’intéresse aux humains d’exception et à leurs travers. Il en parle sur Temps Libre avec beaucoup d’enthousiasme et de passion.