Aujourd’hui, penchons-nous un peu sur un autre génie négligé de la chanson: Maurice-Pierre Barrier, mieux connu sous son diminutif de Ricet.
À mon humble avis, il mérite ce titre de génie autant que Boby Lapointe, Nino Ferrer, Pierre Vassiliu et bien d’autres.
Fait pour le comique
Notre homme est né le 25 août 1932 à Romilly-sur-Seine. Une commune située à une centaine de km à l’est de Paris. Lui-même racontait que sa ville natale était surnommée Romilly-les-Chaussettes à cause de la principale industrie de l’endroit, où son père travaillait.
Déjà avec cette anecdote, on pouvait discerner d’où lui venait son goût pour la fantaisie et l’humour. Louables aspects de son répertoire.
Après une scolarité plutôt chaotique (huit institutions en quatre ans!), il devient professeur d’éducation physique en 1952. C’est la seule matière où, disait-il, il arrivait toujours premier!
Il a vu et entendu Félix Leclerc chanter Le train du nord sur la scène du Théâtre des Trois Baudets, et envisagera sérieusement de se lancer dans la chanson.
Mais ce sera la chanteuse Mireille, avec son émission Le petit conservatoire qui l’encouragera à se lancer. Elle lui dira, avec raison: « Ricet, vous êtes fait pour chanter du comique! »
Maîtres du second degré?
C’était en 1955. L’année suivante, il monte une première fois sur scène au Cheval d’Or. Là où un certain Boby Lapointe avait fait ses débuts. Deux ans plus tard, il publiera son premier album qui contiendra déjà un classique: La servante du château. Et il continuera ainsi jusqu’à son décès, en 2011, après une carrière de près de 50 ans.
Ses chansons ont été reprises par bon nombre d’interprètes, particulièrement les Frères Jacques qui lui ont même consacré tout un album. Selon Ricet Barrier et son parolier, partenaire et complice Bernard Lelou, cela tenait sans doute au fait que le quatuor avait le chic pour chanter au premier degré des chansons écrites au second.
D’autant que de leur propre aveu, lui et son compère ont toujours été incapables d’écrire une chanson au premier degré…
Saturnin et Ricet Barrier
Ce fantaisiste invétéré a aussi fait sa marque dans les émissions pour enfants. Il a entre autres incarné le personnage de Monsieur Zibou dans les aventures de l’ours Colargol, et aussi – et surtout – coécrit les textes et prêté sa voix au petit canard Saturnin dans les années 60. Souvenirs d’enfance impérissables, si je puis me permettre…
Ajoutons-y la série Barbapapa, dont il faisait les voix et signait le générique.
Quand l’accent cache le propos
Bien que Ricet Barrier démontre une certaine poésie et une grande capacité d’observation dans ses chansons, le public a retenu avant tout les chansons dites « paysannes ». L’accent qu’y adopte le chanteur contribue à en amplifier l’aspect drolatique. Que ce soit La servante, Eh! la Marie, ou Isabelle, v’là l’printemps pour ne citer que les plus connues. Comme il le dit lui-même:
On pourrait dire que les grandes phases de ma « jeune carrière » sont les suivantes: – 1958: La servante du château. – 1968: Les vacanciers. – 1978: Y a plus d’sous. C’est à dire trois chansons paysannes… grand public… mais entre ces chansons, il y a les principales (à mes yeux!) : Drôle de vie, La java des hommes-grenouilles, Quatorze juillet, Bizarre, Chaussettes, vendeuse et goutte d’eau, L’enterrement, Le puceron et l’orange, Les spermatozoïdes, Putain le beau métier, dont les sujets sont plus profonds, plus originaux.
En fait de malentendu, il y aurait un sacré parallèle à établir avec Nino Ferrer, mais je préfère m’abstenir. Disons simplement qu’il a mieux tenu le choc. Et d’originalité, lui et Bernard Lelou n’en ont pas manqué.
Déjà, une chanson comme Les spermatozoïdes, justement, relève autant du tour de force que du trait de génie, à représenter la simple étape de la reproduction humaine comme une course-poursuite.
Ou une se ses plus méconnues, La dèche, où il décrit assez bien la réalité de l’artiste tout en se moquant des idées fausses qu’on peut se faire de cette vie. Ou encore C’est dur d’être une belle fille, où l’humour ravageur tempère à merveille la lucidité désabusée.
L’art de savoir se moquer
Car c’est bien dans l’humour qu’il donnait sa pleine mesure, se moquant de l’ordre établi comme bien peu savent le faire efficacement. Une de mes préférées à ce chapitre, Le savoir-vivre, est révélatrice dans ce sens, où les « préceptes de bonne conduite » servent de prétexte à énumérer des situations parfaitement absurdes. Comme:
Ne pas dire au vicaire / En lui refermant son bréviaire / « Lisez donc plutôt dans la Série Noire / Y a d’la strychnine dans le ciboire! »
Ou encore:
Ne frappez pas à coups de cuillère / Le dos charnu de la douairière / En lui disant: « Je n’savais pas / Qu’les moustiques aimaient les corps gras! »
Voilà donc un artiste assez singulier, de la même trempe qu’un Pierre Perret ou un Boby Lapointe. Et dont on retrouve une certaine influence chez un Thomas Fersen de nos jours.
Chez nous, on peut dire que Plume Latraverse a travaillé un peu dans le même esprit.
Quand l’exode forme la jeunesse…
Pour terminer, une question qui peut-être vous brûle les lèvres: « Mais où a t-il été chercher cet accent paysan? »
La réponse se trouve sans doute dans l’épisode de l’exode qui a suivi le début de la Seconde Guerre mondiale.
Poussée hors de la région parisienne, une partie de la famille Barrier – et le jeune Ricet alors âgé de 8 ans – s’est établie chez des fermiers en Sologne. Nul doute qu’à cet âge, leur langage et leurs manières aient fait forte impression sur le futur chanteur.
Cet article ne se voulait pas un tour d’horizon complet de la carrière de Ricet Barrier. Juste un incitatif pour vous donner envie de le découvrir par vous-mêmes.
Et étant donné que l’humour et l’observation malicieuse apparaissent de plus en plus rares, j’ai voulu me pencher sur lui et son répertoire.
Merci et à une prochaine fois!
Journaliste et mélomane, Gilles Tremblay s’intéresse aux humains d’exception et à leurs travers. Il en parle sur Temps Libre avec beaucoup d’enthousiasme et de passion.