Le vrai visage de #BellCause

Chaque année, le hashtag #BellCause revient pour nous rappeler de prendre soin de nos proches aux prises avec des problèmes de santé mentale. C’est louable… dans une certaine mesure.

Pour ceux qui ne me connaissent pas bien, laissez-moi parler brièvement de ma relation avec les troubles de santé mentale.

Les anévrismes en famille

L’année de ma naissance, quelques mois avant que je voie le jour, mon père a été frappé par une rupture d’anévrisme massive à l’hypothalamus. Cet événement a complètement changé sa personnalité. Lui qui était rigolard et joyeux est devenu possessif et soupe-au-lait. Ses traumatismes de guerre, qu’il avait su gérer en quittant la France après avoir tout fait pour la paix, l’ont rattrapé. Sa relation avec ma mère est devenue problématique. Son rapport à la paternité une source de migraines. Je n’étais pas encore née.

Éventuellement, un extraordinaire médecin du Royal Victoria lui a prescrit de l’Épival et a réglé tous ses problèmes. Malheureusement, ma mère était décédée entre temps. Mon père n’a jamais pu la revoir ma mère avec un esprit clair. Il a quand même vécu plusieurs décennies de plus, avec de grands moments de bonheur, mais toujours dans la peur d’un autre anévrisme.

Il avait ce qu’il appelait « une bombe sur les épaules ».

Le suicide

Malheureusement, j’ai aussi vécu le suicide de près. Un ami qui m’appelait de temps en temps pour se vider le coeur, à 15 ans, s’est suicidé avec l’arme à feu de son père.

Une vague de suicides a aussi touché mes amis du Cégep. Un d’entre eux est venu manger une dernière poutine chez moi juste avant de passer à l’acte. Un autre était mon ex. Un autre s’est raté et m’a donné la chance de veiller sur lui jusqu’à ce qu’il aille mieux. Il va toujours bien aujourd’hui. Ça ne peut pas toujours mal finir.

Pour les autres, personne n’aurait rien pu faire. Ces jeunes hommes étaient bien déterminés.

C’est à ce moment que j’ai appris que quand ton âme touche le fond du baril, il te faut de la chance, où une blague bien placée au hasard des conversations. C’est la seule chose qui puisse te remonter le moral.

Ce sont des choses qui arrivent naturellement et certainement pas pendant un jour établi. Un intervenant, très « yo les jeunes », c’est presque un accélérateur de fin de vie pour quelqu’un qui en a déjà assez de l’hypocrisie.

Il faut de la sincérité et des rires. La fausse compassion empire tout pour ceux qui en ont déjà vraiment, mais vraiment marre. En tout cas, c’est que j’ai pu observer auprès de mes amis.

C’est ce qui m’amène à #BellCause.

Vouloir bien faire

Une cause comme #BellCause, ou #BellLetsTalk en anglais, c’est comme un intervenant qui ne saurait même pas ton nom. Et qui finirait par parler de toi, devant toi, avec des collègues.

Oui, chaque fois que le hashtag est utilisé, un peu d’argent est versé à un organisme. C’est bien. Est-ce qu’il le serait de toute façon sans que Bell se paie une promo? Je ne sais pas. J’en ai déjà parlé, je ne suis pas fan de fausse vertu.

Pour être totalement honnête, j’ai aussi mes antécédents avec Bell. J’ai des préjugés. J’étais de la génération des modems qu’il fallait leur renvoyer et qui se « perdaient » dans le courrier, faisant en sorte que 100$ était facturé à notre carte de crédit.

Mais bon, ils ont peut-être changé depuis. J’ai dessiné des gens qui tendaient l’autre joue toute mon enfance, je leur donne le bénéfice du doute.

Admettons donc que les fonds aillent tous auprès d’organismes d’aide et soient effectivement utiles pour des gens en détresse.

Encore faut-il aller chercher de l’aide. Il faut savoir où la chercher et ne pas se sentir ridicule de le faire.

Alors qu’est-ce qui s’est passé avec Bell Cause cette année? Est-ce que ça a ouvert la conversation?

Humiliation et grossière indécence

Je ne veux pas faire le procès de ceux dont je parle ici. Je veux seulement vous demander de vous imaginer, l’espace d’un instant, que, comme mes amis, vous entendez une petite voix qui vous dit que ça va mal, que la personne que vous aimez ne reviendra jamais, que votre père vous déteste ou que vos dettes ne s’effaceront pas.

Vous avez besoin de cette conversation. Elle arrive à pic.

Le jour où on ouvre la conversation, vous voyez ceci.

Plait-il?

On nomme une fille qui a fait la manchette toute l’année avec ses positions pour le moins à contre-courant en sous-entendant qu’elle est folle. Ok. Et on rit d’elle parce qu’elle est folle.

Est-ce que ça vous aide? Non.

Maintenant, admettons que, comme moi, vous avez côtoyé des suicides. Et admettons que Bell est un concurrent à votre entreprise. Est-ce que ce jour serait adéquat pour vous faire dire « Vas-y retweete #BellCause, tu connais ça toi, le suicide »? Non, bien sûr que non.

C’est ce que Mitch Garber a fait subir à Pierre-Karl Péladeau dont la mère et la conjointe se sont suicidées il y a quelques années.

Bonjour la délicatesse. Au mieux, on pourrait se dire que Mitch Garber était totalement déplacé en forçant un ami à partager son expérience, mais ils ne sont même pas amis. Ils ne sont même vraiment pas amis. Mitch aime bien tirer à bout portant sur PKP.

C’était donc totalement mal intentionné. Le jour de #BellCause.

On parle de personnalités connues ici. D’hommes respectés. L’un est un scénariste de renom, l’autre un homme d’affaires respecté. Ce sont des gens qui ont de la visibilité et dont le message passe plus facilement que, disons, moi.

Que font-ils de cette portée en cette journée? Ils intimident des gens pour rire. Et au moment où j’écris ces lignes, ils n’ont absolument pas eu l’impression de blesser qui que ce soit.

Le clown est triste

C’est ça aussi #BellCause, un cirque médiatique.

Est-ce que l’argent aide? J’espère.

Sinon, cette promo pour Bell n’aura servi qu’à mettre en relief toute l’intimidation dont sont capables les hommes qui réussissent dans notre société.

Et ça, je ne suis pas sûre que ce soit très bon pour une personne en détresse.

Si vous avez réellement besoin d’aide, j’ai envie de vous dire de lâcher les réseaux sociaux. En grande quantité, c’est un poison. Prenez plutôt deux minutes pour appeler un ami, une ressource d’aide de votre région ou le 1·866·277·3553. Et faites le plein de films de Louis de Funes..

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