La zizanie: amertume et bulles vertes

En 1970, René Goscinny et Albert Uderzo publient le 15ème album des aventures d’Astérix, au titre assez intriguant: La zizanie.

Celui-ci se sera révélé être un des sommets de la série, où l’humour contrebalance efficacement un récit où la nature humaine n’est pas dépeinte sous son meilleur aspect, il fait bien le dire. Le scénariste s’est paraît-il inspiré de faits qu’il a vécu comme directeur de Pilote et qui l’ont affecté durement.

Petit résumé de l’intrigue pour commencer.

Dans une nouvelle tentative de vaincre la résistance du fameux village gaulois, Jules César envoie cette fois une arme secrète: Tullius Détritus (le bien nommé). Un être tout à fait immonde qui a le don incroyable de faire éclore les dissensions partout où il passe, que ce soit parmi les conseillers de l’empereur ou l’équipage du navire qui l’amène en Gaule… et même les pirates!

Ce qu’il ne manquera pas de faire une fois dans le village, en offrant à Astérix un vase précieux plutôt qu’au chef Abraracourcix. Dès lors, les tensions et les jalousies iront croissant, jusqu’à ce qu’on soupçonne injustement le petit guerrier d’avoir vendu le secret de la potion magique aux Romains.

Devant cette attitude, Astérix, accompagné de Panoramix et d’Obélix, quittera le village, à la fois pour donner une leçon à ses habitants et pour contrecarrer les plans des Romains. Et de Détritus qui verra ses ruses de retourner contre lui.

Si l’on a bien affaire à une hilarante comédie de mœurs, il reste, comme je le disais plus haut, que Goscinny a mis dans ce scénario de fortes amertumes ressenties à la suite de moments qui l’ont marqué.

Dans la foulée des évènements de mai 68, des dessinateurs et des scénaristes de Pilote l’avaient convoqué à une réunion improvisée, où ils ont exigé d’avoir un droit de regard sur les publications du journal.

Or, Goscinny, qui n’avait pas appréhendé la portée de ces évènements pour diverses raisons, a pris ces exigences pour des attaques tant personnelles que professionnelles.

La méfiance qui s’est installée ensuite entre le directeur et ses créateurs a affecté durement l’ambiance de travail au journal pendant un certain temps.

Cela a aussi réveillé chez le scénariste de mauvais souvenirs de ses débuts dans le métier à l’agence World Presse. Alors que lui, Uderzo, Jean-Michel Charlier et d’autres artistes ont voulu créer une association pour faire valoir leurs droits sur leur travail, Goscinny fut le seul à avoir été congédié suite à une dénonciation.

Cet épisode illustrait en un sens le peu de poids que pouvait avoir un scénariste de BD à l’époque, mais Goscinny y avait aussi perçu – à tort ou à raison, de l’antisémitisme.

La trouvaille la plus originale de l’album est bien l’emploi des phylactères verts. Et dont la teinte varie selon l’intensité des sentiments négatifs que les personnages expriment…

Et bien que ça s’avère parfois un peu difficile à lire, cela contribue fort bien à immerger – ni plus ni moins – le lecteur dans le récit.

Après Cléopâtre

Après Cléopâtre, nouveau clin d’œil des auteurs au cinéma: le centurion Caïus Aérobus (celui qui n’entend rien à la guerre psychologique) est dessiné avec les traits de l’acteur Lino Ventura.

Parlant de « guerre psychologique », La zizanie s’est révélé être d’après Uderzo, une bonne occasion de ridiculiser ce concept à la mode au moment de la sortie de l’album. Cette démarche s’exprime à travers le légionnaire Savancosinus, qui est un peu le cobaye de Détritus. Et dont la personnalité tient à la fois d’Averell Dalton et de Rantanplan…

Finalement, c’est dans cet album que les épouses des habitants du village prennent une place prépondérante, et qu’elles garderont dans la plupart des récits suivants. Ainsi, on y voit l’épouse du forgeron Cétautomatix, la compagne très top-modèle du doyen Agecanonix, et Iélosubmarine, femme du poissonnier Ordralfabétix. Dans La zizanie, elles seront la source des pires commérages – dont Astérix fera les frais, colportés par leurs époux un brin trop crédules…

Et parmi elles, c’est bien Bonemine, l’épouse du chef Abraracourcix, qui les domine toutes par sa personnalité. Volontaire, acariâtre, envieuse, plutôt agressive et volontiers mauvaise langue, elle est néanmoins capable d’une certaine bienveillance envers son mari – qui est bien aussi ombrageux qu’elle, il faut bien le dire, ce qui donne lieu à des échanges assez hilarants.

Bref, il s’agit là d’une histoire menée à pleine charge, et où la lecture à niveaux multiples qui a toujours été la marque de l’écriture de Goscinny opère à merveille. Au point qu’on remarque peu qu’il s’agit de son scénario le plus personnel où heureusement, l’humour tempère de belle manière un propos assez sombre.

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